Manger des insectes : une bonne idée ou pas ?

Publié par Audrey Vaugrente
le 18/07/2018
Maj le
7 minutes
edible roasted and spiced mealworms and crickets
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Grignoter des insectes, voilà qui peut sembler bien peu ragoûtant. Pourtant, qu'elles rampent ou qu'elles volent, ces petites bêtes sont plus nourrissantes qu'il n'y paraît. Alors, faut-il céder à la mode de l'entomophagie ? On fait le point avec deux nutritionnistes.

Plutôt criquet, grillon ou ver à farine ? A l'apéritif, cet été, la question pourrait très sérieusement se poser. De plus en plus de fabricants proposent des insectes à grignoter avant le repas... et même sous forme de confiseries.

La seule idée d'y plonger vos dents vous révulse ? Rien d'étonnant à cela. "Nous sommes plusieurs à trouver les insectes dégoûtants, confirme Marie-Eve Caplette, nutritionniste-diététiste canadienne. Les manger ne fait pas partie de la culture occidentale."

Mais les chiffres sont là : plus de 1 900 espèces sont jugées comestibles et pas moins de 113 pays consomment régulièrement des insectes. Au total, plus de deux milliards de personnes s'en nourrissent. Termites, chenilles, larves d'abeille… le panel est large. Faut-il céder à la tendance ? On fait le point sur les arguments.

Ils sont faciles à cultiver

Les insectes sont omniprésents sur le globe. A tel point qu'ils survivent même sur le continent Antarctique. En hiver comme en été, il est possible de se nourrir d'insectes et ceux-ci sont bien plus rentables que les vertébrés que nous mangeons. Le grillon est comestible à 80 %; ce n'est le cas que pour 55 % d'une volaille.

Il n'en fallait pas plus pour convaincre l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), à l'origine d'un rapport sur le sujet. Il suffit de 10 kg de nourriture pour générer 9 kg d'insectes comestibles.

Un record de rentabilité, quand on sait que cela permet d'obtenir seulement 1 kg de bœuf. "Le coût de production est bien plus faible par rapport à de la viande ou du poisson, si on le rapporte à la quantité consommée", confirme Thomas Ladrat, diététicien-nutritionniste du sportif.

Pour ne rien gâcher, cette agriculture est écolo. "Leur élevage nécessite beaucoup moins d’eau, de nourriture et d’espace, en plus de produire moins de gaz à effet de serre que d'autres sources de protéines animales", ajoute Marie-Eve Caplette.

Quels insectes mange-t-on principalement?

  1. Les scarabées (31 %)
  2. Les chenilles (18 %)
  3. Les abeilles, guêpes et fourmis (14 %)
  4. Les sauterelles, criquets et grillons (13 %)
  5. Les cigales, cicadelles, cochenilles et punaises (10 %)
  6. Les termites (3 %)
  7. Les libellules (3 %)
  8. Les mouches (2 %)

Ils sont riches en protéines

Manger des insectes n'est pas seulement bon pour la planète. C'est aussi intéressant sur le plan nutritionnel. "Ils apportent environ autant de protéines que la viande ou le poisson, et la qualité de celles-ci est excellente !", souligne Thomas Ladrat, diététicien-nutritionniste du sportif.

Les protéines constituent d'ailleurs la principale source nutritive issue des insectes, avec une légère variation en fonction de l'espèce. La chenille mopane abrite ainsi 48 à 61 % de protéines quand la termite en apporte 32 à 38 %.

<strong>Ils sont riches en protéines</strong>

Ils sont riches en nutriments

Et les bénéfices des insectes ne s'arrêtent pas là. "Ils contiennent des fibres, du fer, du magnésium et de la vitamine B12, qui sont tous des nutriments favorables à la santé", liste Marie-Eve Caplette. Sans oublier certains oligo-éléments (zinc, fer, magnésium, etc).

Pour obtenir le maximum de ces bénéfices, tous les modes d'abattage ne se valent pas, avertit l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dans un rapport paru en 2015. La congélation – pendant 24 heures à – 18 °C – est la meilleure stratégie pour préserver toutes les qualités nutritives de l'insecte. A moins de les manger vivants.

Ils apportent peu de gras et beaucoup de fibres

Autre argument non négligeable : les insectes apportent relativement peu de lipides et de glucides, "sauf éventuellement les vers et larves non séchées", concède Thomas Ladrat. Aux stades larvaires, on peut trouver jusqu'à 57 % de matière grasse dans la matière consommée.

Les fibres sont, en revanche, très nombreuses dans ces aliments. On peut remercier l'exosquelette de ces petites bêtes, la fameuse chitine. Rappelons-le, les fibres sont excellentes pour améliorer la digestion.

Ils ne sont pas très ragoûtants

"Gluant, mais appétissant", disait Simba dans Le Roi Lion, confronté à son premier ver. Pas certain que tout le monde approuve. En Europe, les insectes et araignées grillés révulsent, même sous forme d'apéro…

"A mon avis, la façon la plus facile de les accepter est sous une forme transformée, comme la poudre ou la farine", avance Marie-Eve Caplette. Une approche plutôt astucieuse puisque cela permet de confectionner diverses recettes gourmandes, mais aussi de préparer des barres protéinées ou encore des pâtes.

"Pour les personnes aimant leur goût, il est tout à fait possible de les consommer grillés entiers ou en morceaux, ajoute Thomas Ladrat. Il existe d'ailleurs plusieurs entreprises françaises en proposant notamment sous forme "d'apéritifs", parfumés au paprika, cumin, curry, et grillés."

Bref, tout est fait pour améliorer l'image de ces petites bêtes. Mais pour le moment, les Européens peinent à suivre le mouvement.

Un risque réel d'allergie

Avant de céder à la mode des insectes, mieux vaut se renseigner sur le risque d'allergie associé aux insectes. En effet, les personnes sensibles aux crustacés (homards, crevettes, crabe) peuvent développer des allergies dites "croisées" en raison d'allergènes communs.

"Les personnes allergiques aux fruits de mer peuvent également être allergiques aux grillons", illustre Marie-Eve Caplette. De même, les personnes qui souffrent déjà d'allergies aux arachnides (acariens, araignées, scorpions) peuvent souffrir d'une réaction aux insectes.

"Il convient donc d'être particulièrement vigilent pour les personnes possédant déjà des allergies", recommande Thomas Ladrat.

Des cas d'allergies spécifiques à la consommation d'insectes ont aussi été signalés de manière plus ponctuelle, principalement dans le cadre de consommation de vers de farine, à soie ou encore de palmier.

Des facteurs anti-nutritionnels

La consommation d'insectes doit s'accompagner d'une certaine prudence car ceux-ci peuvent abriter des substances dites "anti-nutritionnelles", pouvant provoquer des carences.

"Nous conseillons donc d'essayer d'abord en petite quantité et de ne pas se mettre à consommer du jour au lendemain une grande quantité d'insectes", recommande Thomas Ladrat.

Parmi les risques cités par l'Anses dans son rapport, les oxalates qui peuvent provoquer des irritations digestives ou des troubles rénaux, mais aussi la thiaminase qui provoque une déficience en vitamine B1, ou encore l'acide phytique, qui diminue la biodisponibilité du phosphore.

Pour remédier à ce risque, la mention des substances à risque devrait être clairement indiquée. Par ailleurs, les substances devraient être éliminées si cela est possible, selon l'Anses.

Des parasites dans les insectes

Dès la préparation, les fabricants devront faire preuve d'une grande attention. Car de nombreux insectes sont vecteurs de parasites. Selon le mode d'abattage et de transformation, ceux-ci ne seront pas toujours éliminés correctement.

Si l'insecte est congelé, par exemple, les nématodes (petits vers ronds) pourront survivre. De même, le toastage à 120 °C est insuffisant pour éliminer certaines spores bactériennes. L'Anses note également qu'un mauvais séchage des insectes peut favoriser l'apparition de moisissures.

Comme dans toute industrie agro-alimentaire, un contrôle précis sera donc nécessaire. Un travail en amont est également nécessaire, car les risques parasitaires sont encore mal identifiés par la communauté scientifique.

Un risque d'étouffement

Mieux vaut, enfin, ne pas servir d'insectes aux enfants. Selon les espèces choisies, de petites parties dures, impossibles à mâcher, peuvent être servies. Cela représente un réel danger d'étouffement.

Si l'Anses recommande d'indiquer la présence d'ailes, de dard ou de rostre sur l'emballage, mieux vaut éviter ce genre d'aliment chez les plus jeunes, qui ne seraient pas forcément aptes à bien réagir en cas de danger.

Un aliment à intégrer au régime

Reste que les insectes sont assez peu nourrissants sur le plan calorique. Seuls, ils sont donc insuffisants. Mais sauter le pas est un pari doublement gagnant, aux yeux de Marie-Eve Caplette.

"Savoir qu'un aliment est bon pour nous ou pour la planète peut donner envie d'essayer, mais pour l'adopter comme habitude, nous devons trouver cet aliment appétissant, conclut-elle. Le défi est là selon moi."

Thomas Ladrat dresse un bilan plus modéré de l'entomophagie. "Les habitudes et représentations liées à l'alimentation mettent énormément de temps à changer, et je ne suis pas certain qu'une grande part de la population occidentale soit prête à en consommer régulièrement", estime-t-il.

Convaincu de l'intérêt de cette source alimentaire, dans le cadre d'une alimentation équilibrée, ce diététicien-nutritionniste estime tout de même qu'il ne faut pas se forcer.

Sources

Insectes comestibles - Perspectives pour la sécurité alimentaire et l’alimentation animale, Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, 2014

AVIS de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif à « la valorisation des insectes dans l’alimentation et l’état des lieux des connaissances scientifiques sur les risques sanitaires en lien avec la consommation des insectes », Anses, 12 février 2015

Nutritional and sensory quality of edible insects, Lenka Kouřimskáa et Anna Adámkováb, NFS Journal, October 2016

Mangerons-nous un jour des insectes ?, Culture, 25 mai 2011

Marie-Eve Caplette, nutritionniste-diététiste

Thomas Ladrat, diététicien-nutritionniste du sportif

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