Ados : Le syndrome du " parent poule "

Au nom de l'amour, elles planifient toutes leurs activités, les abritent de tous les dangers, s'opposent à chacune de leurs sorties à un âge où s'émanciper rime pourtant avec liberté. Dans son dernier ouvrage, Le syndrome de la mère poule, le thérapeute Michael Ungar* aide les parents " sur-anxieux " à guider leurs ados sur les chemins de l'autonomie. Entretien.

PsychoEnfants : Pourquoi avoir écrit un ouvrage sur ce syndrome ? Les parents sont-ils aujourd'hui plus inquiets pour leurs ados ?Michael Ungar : D'une certaine facon, oui. Les parents passent beaucoup plus de temps avec leurs enfants que ne le faisaient leurs aïeux. Ils les conduisent à l'école, les emmènent chez leurs amis, les accompagnent aux activités extrascolaires… Les enfants ont moins l'occasion de faire leurs expériences seuls. Hier, avec six ou sept enfants, les parents n'avaient pas le temps de s'affoler. Ils responsabilisaient les aînés qui prenaient en charge les plus jeunes. Et chacun apprenait ainsi à devenir autonome plus tôt.PE : Dans votre ouvrage, vous parlez également de l'influence négative des médias…M. U. : En effet, les médias mettent souvent en avant des faits divers avec des disparitions et des meurtres d'enfants. Ce qui angoisse forcément les parents.PE : À quoi reconnaît-on les parents poule ?M. U. : À leur manière hyperprotectrice de dire plus souvent " non " que " oui ". Inquiets et anxieux, ils empêchent leurs ados de vivre de nouvelles expériences - rentrer seul de l'école, partir en voyage linguistique ou sortir avec des amis - pour se rassurer et les préserver.PE : Les préserver de quoi ?M. U. : D'un malheur, d'une mauvaise rencontre. Pour eux, liberté, même sous contrôle parental, rime forcément avec prise de risques, comportements dangereux, délinquance, etc. Les parents poule n'ont pas conscience que c'est en testant leurs limites que les ados vivent des expériences enrichissantes.PE : Et qu'ils apprennent à mieux se connaître ?M. U. : Oui et à mieux repérer leurs talents. Ces parents ultra-anxieux pensent que notre monde est beaucoup plus dangereux qu'il ne l'était hier. Ce qui, bien entendu, est complètement faux. Les jeunes n'ont jamais été aussi en sécurité qu'aujourd'hui : ils poursuivent leurs études plus longtemps et, grâce aux nombreuses campagnes de prévention, se droguent de moins en moins.PE : Quelles sont les conséquences de l'hyperprotection parentale sur l'ado ?M. U. : Il y en a deux. Soit ses parents ont réussi à le convaincre qu'il vit dans un monde dangereux et le jeune n'osera plus rien faire. Il se sentira dévalorisé, désocialisé, en profond manque de confiance.

PE : L'hyperprotection généralisée peut provoquer ce que vous nommez l'anomie…M. U. : Oui. Ce terme, emprunté au sociologue Émile Durkheim, désigne le sentiment de solitude et de vide précédant le suicide. Un adolescent surprotégé peut, à un moment ou à un autre, entrer en dépression et ne plus éprouver le désir de vivre.PE : Et la seconde conséquence possible ?M. U. : L'ado contestera le monde ultra-verrouillé proposé par ses parents. En opposition à eux, il décidera alors de vivre des expériences et de multiplier les comportements vraiment dangereux : consommation excessive d'alcool, prise de drogue, etc. Ces expériences fonctionneront comme des rites de passage extrêmes. Le jeune s'en servira pour faire remarquer à ses parents qu'il est un adulte, libre de prendre ses propres décisions.PE : Comment les parents poule peuvent-ils faire face à leurs angoisses parfois irraisonnées ?M. U. : En engageant des discussions posées avec le jeune. Face aux sorties par exemple, ils doivent anticiper les éventuels problèmes que l'ado peut rencontrer et trouver avec lui des solutions. Ces conversations seront beaucoup plus efficaces qu'un refus total de sorties, frustrant et pas forcément constructif.Et si le jeune souhaite se rendre dans un lieu jugé vraiment trop dangereux par ses parents, ces derniers doivent être capables de proposer une solution de rechange, tout aussi stimulante. Le but étant de ne pas saper la liberté de l'enfant, mais seulement de la contrôler, d'exercer sur elle un droit de regard.PE : Pour finir, quels sont les trois conseils que vous donneriez aux parents poule ?M. U. : D'abord, qu'ils se remémorent leur propre adolescence, qu'ils énumèrent les responsabilités qu'ils ont eues, les risques qu'ils ont pris et qu'ils réfléchissent aux bienfaits de ces expériences.Ensuite, comme je vous l'ai dit, qu'ils parlent avec leur jeune pour dessiner avec lui un contrat, avec des règles à respecter. Enfin, qu'ils n'hésitent pas à exprimer de temps à autre leurs angoisses, qu'ils en parlent avec le jeune pour que celui-ci en prenne conscience, qu'ils sachent prendre des décisions et tenir un discours rassurant.*Michael Ungar est thérapeute familial. Il s'occupe d'enfants au sein des services de santé mentale et des milieux correctionnels. Parallèlement, il est professeur à l'École de service social de l'université Dalhousie à Halifax, au Canada.

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Source : Psycho enfant, juillet 2008.