E-sante : Il faut que les parents soient certains d'avoir raison de dire non...
Bien sûr. C'est la conviction des parents d'être dans leur rôle d'éducateur qui leur permet d'exprimer un non franc et non négociable. S'ils restent au niveau où ils pensent : " J'ai du mal à dire non, car j'ai peur que mon enfant ne m'aime plus ", ils ne sont pas dans leur rôle de parent. Il faut avoir confiance en l'amour de ses enfants pour qu'ils aient confiance en l'amour que nous leur portons.
La possibilité de dire non existe aussi grâce à la confiance que l'enfant ressent envers ses parents. Cette confiance lui permet de supporter la contrariété. Il se sait aimé, donc il peut supporter ce non, sachant que cela ne remet nullement en cause l'affection que les parents lui portent. Et c'est important à apprendre. On peut vous dire non même si l'on vous apprécie. Il deviendra un adulte capable de supporter les non des autres adultes sans croire qu'il est remis en cause personnellement ou rejeté par les autres.
E-sante : Quand on dit non à bon escient, que se passe-t-il dans la tête de l'enfant ?
On imagine souvent qu'il faut dire non pour le frustrer afin de lui apprendre la frustration. C'est vrai, mais ce n'est pas l'essentiel. Le plus important, c'est l'aspect libérateur du non. L'enfant comprend que le non ouvre autre chose et découvre que ce n'est pas si mal. Si les parents ne lui avaient pas dit non, il n'aurait pas su que c'était possible. Si sa maman lui dit : " Non, pas de télé cet après-midi ", il est capable de faire autre chose, d'inventer un jeu qui n'aurait pas existé sans ce non.
Je connais par exemple une jeune fille qui voulait passer un bac professionnel. Ses parents l'ont obligée à rester en général. Maintenant, elle dit : " je suis plutôt contente d'être restée en section générale ". Le non de ses parents pour la filière professionnelle lui a permis, sans doute, d'affronter sa peur de ne pas réussir, de prendre confiance en elle, et de s'apercevoir qu'elle était capable de plus qu'elle ne l'imaginait. Il lui a ouvert une porte qui lui paraissait fermée. On le voit aussi pour des parents qui disent " Non, tu n'arrêteras pas le violon en milieu d'année... " Quelques années plus tard, l'enfant qui a grandi explique : " Heureusement que vous m'avez forcé à continuer. Jouer de la musique est un grand plaisir dans ma vie... "
Quand on dit non à un enfant, il doit faire appel à ses propres ressources, et il les découvre ainsi et les développe. Et l'on ne découvre de nouvelles possibilités que lorsque d'autres ne sont pas accessibles.
E-sante : Pourtant, il y a des parents qui disent trop souvent non aussi ?
Ce qui est toxique, ce sont les parents qui disent non pour prendre le pouvoir sur leur enfant, pour leur imposer leur vision à eux et non pour l'éduquer et le faire grandir. On est alors dans un jeu de pouvoir et non dans l'éducation faite avec amour.
E-santé : Aimeriez-vous encore ajouter une remarque ?
Oui, l'enfant ne peut pas tout avoir tout de suite. Pour devenir un adulte, il doit apprendre à attendre. C'est une réalité de la vie qu'il doit assimiler pour pouvoir être heureux, et aussi pour être capable d'investir de l'énergie dans un projet qui ne se réalisera qu'à distance, parfois dans plusieurs années. Par exemple entreprendre de longues études... Et c'est en disant non au tout tout de suite que les parents lui enseignent cette capacité à attendre...
* Le Pr Philippe Jeammet est auteur d'un livre dédié aux parents, à la fois pratique et profond : " Lettre aux parents d'aujourd'hui " aux éditions Bayard.
Recevez encore plus d'infos santé en vous abonnant à la quotidienne de E-sante.
Votre adresse mail est collectée par E-sante.fr pour vous permettre de recevoir nos actualités. En savoir plus.